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Enquête : pourquoi l’Ukraine attaque les infrastructures énergétiques russes

Terminal gazier d’Oust-Louga, raffineries de Touapsé et de Volgograd... Depuis début janvier, les attaques de drones ukrainiens visant des infrastructures énergétiques russes se multiplient. Selon le recensement effectué par notre rédaction, au moins huit d’entre elles ont pris feu en raison de ces attaques. Un moyen, pour Kiev, de démontrer sa puissance militaire et de tenter d’affaiblir l’économie russe, analyse Benjamin Schmitt, expert en énergie. 

Incendies ayant touché la raffinerie de Touapsé le 25 janvier (gauche), le terminal d’Oust-Louga le 21 janvier (centre) et la raffinerie de Volgograd le 3 février 2024 (droite), en Russie, à la suite d’attaques présumées de drones ukrainiens.
Incendies ayant touché la raffinerie de Touapsé le 25 janvier (gauche), le terminal d’Oust-Louga le 21 janvier (centre) et la raffinerie de Volgograd le 3 février 2024 (droite), en Russie, à la suite d’attaques présumées de drones ukrainiens. © Images diffusées sur les réseaux sociaux.
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Un dépôt de pétrole ravagé par les flammes et des pompiers mobilisés pour éteindre l’incendie : ces images ont été prises dans le village de Polevaya, dans l’oblast de Koursk, dans l’est de la Russie, dans la nuit du 14 au 15 février.

Un dépôt de pétrole en feu à Polevaya, dans l’oblast de Koursk, en Russie, dans la nuit du 14 au 15 février 2024 (géolocalisation : 51.611986469916026, 36.49370911024447).

À l’origine de l’incendie : une attaque de drone des forces ukrainiennes, selon le gouverneur de l’oblast de Koursk, Roman Starovoyt. De leur côté, des  "sources de la direction du renseignement du ministère ukrainien de la défense" ont affirmé au média ukrainien Kyiv Post être derrière cette opération.

Publication le 15 février 2024 dans la chaîne Telegram du gouverneur de la région de Koursk, en Russie.

Cet incident n’est pas isolé. Alors que Moscou poursuit sa campagne contre les infrastructures énergétiques ukrainiennes, cherchant à priver les civils d’électricité, les attaques ukrainiennes visant des infrastructures pétrolières et gazières russes se sont aussi multipliées ces dernières semaines.

Selon le recensement de la rédaction des Observateurs de France 24, depuis début janvier, au moins huit infrastructures énergétiques russes - raffineries, terminaux, ou dépôts pétroliers et gaziers - ont partiellement pris feu à la suite d’attaques de drones. Si ces attaques ne sont généralement pas officiellement revendiquées par l’Ukraine, elles sont attribuées à Kiev par les pouvoirs locaux russes ou des sources ukrainiennes.

Dans au moins deux autres cas, la Russie a annoncé avoir déjoué des attaques de drones ukrainiens visant là aussi des infrastructures énergétiques russes.

Infrastructures énergétiques présumément ciblées par des attaques de drones attribuées à Kiev par des responsables locaux russes et/ou des sources ukrainiennes, selon le recensement effectué par notre rédaction depuis début janvier 2024.
Infrastructures énergétiques présumément ciblées par des attaques de drones attribuées à Kiev par des responsables locaux russes et/ou des sources ukrainiennes, selon le recensement effectué par notre rédaction depuis début janvier 2024. © Les Observateurs de France 24.

Démontrer la force de frappe de l’Ukraine

Pour Benjamin Schmitt, chercheur au Kleinman Center for Energy Policy de l'université de Pennsylvanie, ces attaques ont plusieurs objectifs. 

Premièrement, elles démontrent une capacité militaire que les Ukrainiens n'avaient pas, je pense, auparavant, ou du moins qu'ils n'annonçaient pas avoir, à savoir une capacité de frappe en profondeur au sein de la Fédération de Russie. Ils essaient de montrer que la guerre ne se limitera pas aux horreurs de l'Ukraine. Elle sera portée, à la porte du Kremlin, à la vue du peuple russe.

L’Ukraine avait, déjà en 2023, visé des raffineries russes. Mais depuis début janvier, ces attaques deviennent plus fréquentes, et plus lointaines. Le terminal gazier du port d’Oust-Louga, touché le 21 janvier, est ainsi situé à plus de 850 kilomètres de la frontière russo-ukrainienne. 

Le terminal gazier du port d’Oust-Louga, en Russie, touché le 21 janvier 2024 par une attaque de drone (géolocalisation : 59.704758248007224, 28.426261488259676).

En frappant aussi loin, l’Ukraine montre ainsi l’étendue de son potentiel de nuisance.

"Si de petits drones ne contenant pas plus de cinq kilogrammes d'explosifs ont réussi à atteindre Oust-Louga (...), cela signifie que 18 raffineries russes d'une capacité totale de 3,5 millions de barils par jour (plus de la moitié du total russe) sont des cibles potentielles", écrit Sergey Vakulenko, spécialiste de l'énergie au Carnegie Endowment for International Peace, dans la revue de ce think-tank américain.

Affaiblir l’économie et l’effort de guerre russes

Pour Benjamin Schmitt, ces frappes ont aussi un objectif plus immédiat.

[Du fait de ces frappes,] certains sites ne peuvent plus exporter. L’Ukraine essaie de cette manière de diminuer les revenus russes provenant des ventes d'énergie. C’est une manière pour Kiev de réduire les revenus et le potentiel dont dispose la Russie pour financer ses opérations militaires.

Preuve de l’importance de l’industrie de l’énergie dans le budget de Moscou, 45 % du budget fédéral russe venait des revenus du pétrole et du gaz naturel en 2021, selon l’Agence Internationale de l’Energie.

Certaines des infrastructures visées récemment sont d’ailleurs particulièrement importantes dans la production russe. La raffinerie de la compagnie Rosneft, située à Touapsé, touchée le 25 janvier, est la plus grande des raffineries russes situées au bord de la mer Noire.

La raffinerie de Touapsé, en Russie, touchée le 25 janvier 2024 (géolocalisation : 44.11031577049798, 39.10169082220311).

Visée le 3 février, la raffinerie de Volgograd se présente sur son site Internet comme le "premier producteur de produits pétroliers du District fédéral du Sud", l’un des huit districts fédéraux russes.

La raffinerie de Volgograd, en Russie, touchée le 3 février 2024 (géolocalisation : 48.49366739598533, 44.61827975246023).

Quant au terminal d’Oust-Louga, il exportait - conjointement avec celui de Primorsk - environ 1,5 million de barils de pétrole par jour en 2023, soit plus de 40 % des exportations totales par voie maritime de la Russie, selon le média américain Bloomberg.

Pour Kiev, ces attaques visent aussi à perturber plus directement la logistique russe, alors que l’Ukraine s’apprête à entrer dans sa troisième année de guerre. Une source anonyme a déclaré à l’agence de presse ukrainienne Interfax que le terminal d’Oust-Louga avait été visé parce qu’il s’agissait d’"une installation importante pour l'ennemi" où était raffiné du carburant étant "entre autres" fourni aux troupes russes.

Arrêts temporaires pour réparation

Mais quels sont ces drones, et quel est réellement leur pouvoir de nuisance ?

Le 18 janvier, après une attaque qui aurait visé un terminal pétrolier de Saint-Pétersbourg - et que la Russie affirme avoir déjoué - Oleksandr Kamyshin, le ministre ukrainien des industries stratégiques, aurait déclaré à l’agence ukrainienne Interfax utiliser des drones produits domestiquement.

Selon un reportage de France 24 diffusé fin 2023, la fabrication de drones est en plein essor en Ukraine, mais elle n’est pas centralisée. Le pays compterait ainsi plus de 200 sociétés produisant des drones.

Contactée par notre rédaction, Akshara Parakala, analyste au sein de l’entreprise Janes, spécialisée dans le renseignement sur le thème de la défense, confirme qu’à la fois l’Ukraine et la Russie utilisent de nombreux drones faits maison, en plus de ceux fournis par d’autres pays.

Dans la plupart des cas, les incendies provoqués par ces attaques ont été, selon les autorités russes, rapidement maîtrisés, n’endommageant qu’une partie des complexes visés et ne faisant pas de victimes.

Cependant, même une destruction partielle d’une raffinerie peut avoir de lourdes conséquences, explique Benjamin Schmitt :

Même si ces frappes ne peuvent pas détruire l’entièreté des raffineries, elles peuvent endommager un endroit clé dans une installation qui contient des pièces et des composants que les Russes ne peuvent pas obtenir en raison des sanctions occidentales. Donc cela peut ralentir, voire empêcher pour un certain temps, la réparation de ces installations.

De plus, les frappes ont parfois entraîné l’arrêt temporaire des infrastructures. Au terminal gazier d’Oust-Louga, touché le 21 janvier 2024, le chargement du combustible a repris, selon Reuters, seulement le 24 janvier, et la transformation du gaz le 11 février.

Endommagée le 25 janvier, la raffinerie de Touapsé, elle, était toujours arrêtée au 19 février, selon une source citée par Bloomberg.

Baisse de la production russe

Ces frappes semblent, en tous cas, avoir un impact sur la production russe.

Selon des données de Bloomberg, la Russie a raffiné 5,16 millions de barils par jour (bpj) au cours de la deuxième semaine de février, soit 380 000 bpj de moins que durant la majeure partie du mois de décembre, avant que l'Ukraine ne commence à frapper les raffineries russes.

Au-delà de leur impact pour la Russie, des frappes répétées pourraient aussi avoir un impact plus global sur l’approvisionnement en énergie, la Russie étant le troisième producteur mondial de pétrole et un fournisseur majeur pour de nombreux pays, comme la Chine et l’Inde. Ces attaques contribuent ainsi à renforcer les incertitudes sur le marché du pétrole, déjà destabilisé par les attaques des Houthis en mer Rouge.

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